Comment faire pour que l’industrie du vêtement respecte l’accord de Paris*?
C’est la question que s’est posée un groupe d’expert•es du Hot or Cool institute[1] :
Unfit Unfair Unfashionable (Inadaptée Inéquitable Démodée)
Le rapport a été publié récemment et décortiqué dans le podcast de Kestrel Jenkins de Conscious Chatter, le 16 janvier 2023.
* L’accord a été signé par 196 pays en 2015 et son objectif est de limiter le réchauffement climatique à 1.5 degrés par rapport au niveau préindustriel.
C’est assez rare de trouver des rapports qui présentent des pistes de solutions et des chiffres concrets pour les consommateur•ices. Il est encore plus rare d’en trouver qui adressent la mode et qui s’attaquent à ce cliché si répandu qui porte à croire que ce sont les pays en voie de développement qui seraient responsables de la pollution sur la planète.
Crédit photo : Tom Fisk (Pexels)
Eh bien accrochez-vous, ce rapport est incroyablement riche et je vous en résume les grandes lignes en français.
Tout d’abord, il est important de mentionner que le rapport se base sur la consommation des pays du G20[2]. Il se place du côté du consommateur sans pour autant blâmer ce dernier. Même si le rapport se focalise sur la consommation individuelle de vêtements, il est important de préciser que cette dernière ne suffira pas à elle seule pour atteindre l’objectif de diminutions des émissions de carbone. Des politiques gouvernementales et un changement drastique dans l’industrie vont également de pair.
Quelques données intéressantes :
- Ce sont les 20% de personnes les plus riches de la planète qui émettent le plus de CO2. C’est assez évident sur les graphiques présentés dans le rapport. Au Royaume Uni, par exemple, il faudrait que ce 20% réduise sa consommation de 83% pour respecter les accords de Paris
- Environ 30% des vêtements présents dans nos garde-robes ne sont pas portés. Le rapport montre donc que si nous réduisons notre consommation de vêtements de 30% par année, on pourrait facilement sauver des émissions sans affecter notre niveau de vie
- Améliorer la traçabilité des produits pourrait permettre aux consommateur•rices de faire des choix éclairés, surtout au moment décisif de l’achat
- Selon le Global Fashion Agenda, environ 70% des émissions de carbone de l’industrie du vêtement sont émises au stade de production, 10% lors du transport et de la vente, et enfin les 20% restants sont générés lors de la phase d’utilisation (McKinsey & Company and GFA, 2020). Les chiffres peuvent varier en fonction des rapports mais restent dans les mêmes proportions.
Crédit photo : Artificial photography (Unsplash)
Ce qui est vraiment intéressant dans ce rapport, ce sont les actions concrètes qui peuvent être mise en place individuellement. Ces dernières sont appuyées par des chiffres.
- Roulement de tambour -
Les pistes de solutions qui réduiraient le plus les émissions sont (dans l’ordre d’impact du plus grand au plus petit) :
- La réduction du nombre de pièces neuves achetées par année (-54 KG d’émission de CO2)
- Une utilisation plus longue de ces dernières (-21 KG d’émission de CO2)
- La réduction des lavages et séchages
- Une meilleure gestion des déchets textiles (-11 KG d’émission de CO2)
- Acheter seconde-main (-7 KG d’émissions de CO2)
Les chiffres sont issus de la « Figure 7. Estimated average per-capita carbon footprint reduction impacts of low-carbon lifestyle options.»
Figure 7
Mon opinion : On voit dans cette liste que l’achat second-main arrive en dernier, or il s’agit de la solution la plus largement mise de l’avant dans les médias.
Si aucune action énoncée plus haut n’est prise en considération, alors le nombre d’items acheté par année par habitant ne devrait pas dépasser 5 pour respecter l’accord de Paris. Nos garde-robes, elles, ne devraient pas dépasser 74 items (sous-vêtements et bas exclus).
Un autre gros morceau de ce rapport est la mise en lumière des inégalités quand on parle d’émissions de gaz à effet de serre. On voit clairement que ceux qui en émettent le plus appartiennent toujours à la tranche sociale la plus élevée (20% des plus riches) mais surtout que ce sont les pays occidentaux (incluant l’Australie) qui en émettent le plus. Et LARGEMENT PLUS. La Chine, l’Inde, l’Indonésie et la Turquie se situent déjà dans la « fair consumption space » c’est-à-dire la zone dans laquelle nous devrions tous nous trouver pour respecter l’accord de Paris.
Figure ES2. A fair consumption space for fashion
Cela m’amène à parler de notre responsabilité en tant qu’éducateur•trice en développement durable.
Comme le rapport nous le démontre, ce ne sont pas les personnes aux plus faibles revenus qui émettent le plus de gaz à effet de serre.
Crédit photo : Liza Summer (Pexels)
La mode durable a un coût. Les personnes qui n’ont pas les moyens de se payer une paire de jeans à $150 ne doivent pas être condamnés à consommer de la fast-fashion. En revanche, les personnes appartenant aux tranches supérieures ayant amplement les moyens d’investir, ou du moins, réduire leur consommation devraient se pencher sur la question.
Autre fait important à noter : blâmer les femmes parce qu’elles achètent des vêtements dans de grandes enseignes de fast-fashion ne résoudra en rien la crise climatique. Leur donner plus de pouvoir, oui. Parce que comprendre ce qu’il se passe derrière nos décisions d’achats peut nous permettre de faire des choix plus éclairés. Pourquoi j’ai besoin de cette robe que je vais seulement porter une fois lors d’un vernissage ? Pourquoi je ne me sens pas confortable de porter deux fois le même outfit pour un évènement important ? Ce sont toutes ces choses qu’il faut déconstruire pour un meilleur demain.
Figure 8. Fashion lifestyle carbon footprint in 2030 under the current trajectory and under the decarbonization efficiency scenario
Il est tout de même rassurant de voir que de plus en plus de politiques à travers le monde sont mises en place dans le but de réduire l’impact de la mode et d’augmenter la responsabilisation sociale des entreprises. Conscious Style a sorti un article qui résume les lois et accords en cours[3] (janvier 2023).
Il y en a en Europe, en France, aux États-Unis, au Bangladesh mais aucune au Canada. Alors, qu’est-ce qu’on attend pour travailler là-dessus ?
[1] https://hotorcool.org/
[2]https://www.exteriores.gob.es/fr/PoliticaExterior/Paginas/G20OCDE.aspx#:~:text=Il%20comprend%20les%20pays%20du,du%20Sud%20et%20la%20Turquie.
[3] https://www.consciouslifeandstyle.com/sustainable-fashion-laws/