Bien que la laine représente moins de 1% de la production mondiale de fibre en 2023[1], sa production ne cesse d’augmenter. Ses propriétés thermique et absorbante en font une fibre de choix pour la confection des vêtements de sport, particulièrement en hiver. S’il y a bien une fibre qui pourrait être produite au Québec, c’est bien celle-ci ! Cependant, les défis que rencontrent la filière sont nombreux. Plusieurs d’entre-deux font échos avec des choses que j’ai entendues lors de mes visites en France en juillet 2025. Cet article présente donc des initiatives et pistes de solutions inspirantes pour le futur de cette industrie prometteuse.
Parcours d’une fibre pas comme les autres
Le début de mon périple se trouve à Saint-Pierre-Roche, dans le Puy de Dôme, chez Terre de Laine.
Terre de Laine, c’est une SCOP (l’équivalent d’une coopérative de travail ay Québec) dont la mission est de trouver des débouchés viables à la laine de mouton qui se trouve sur son territoire.
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en France, la laine de mouton est catégorisée comme un sous-produit animal au même titre que les abats. Cela signifie que les éleveurs ne peuvent en aucun cas jeter les déchets issus de la tonte dans les circuits traditionnels de traitement, ni les laisser à l’air libre sur leur terre. Avant la crise du Covid, la laine était principalement envoyée en Chine mais la fermeture des frontières en 2020 a court-circuité ce marché qui est resté fermé depuis. Aucune alternative n’était donc offerte aux agriculteurs et c’est là que Nadège Blanchot et son équipe entre en jeu. Depuis 2016, Terre de laine propose de racheter la laine aux agriculteurs ce qui leur permet de se faire un léger revenu pour couvrir, en partie, les frais liés à la tonte.
Mais le principal défi, c’est de travailler à partir de laines plutôt rêches issues de races de moutons différentes, difficilement utilisable pour le vêtement.

Terre de laine s’occupe donc de trier, de laver et de trouver des débouchés à ces laines. Celle dont nous a longtemps parlé Nadège Blanchot, la gérante, c’est la laine Rava. Il s’agit d’une laine aux couleurs variées qui conserve quelques impuretés même après le lavage. Impossible à utiliser en filature (les débris risqueraient d’abimer les machines), elle peut s’utiliser en feutrage. Terre de laine a donc développé un isolant pouvant être utilisé dans la construction des maisons. Ce projet a pris plusieurs années avant de voir le jour puisque même si la laine est naturellement isolante et ignifuge, pour pouvoir être utilisée dans la construction, une certaine régularité est de mise. Régularité qui sera nécessaire pour obtenir les certifications et garantir la sécurité des utilisateurs. Pas question donc de mélanger tout un tas de laine différentes comme j’ai eu la naïveté de penser.
Autres débouchés pour les différentes laines récoltées : des tapis de yoga, du rembourrage pour coussin et couverture ou encore un tapis de repassage.

Autre défi, l’industrie de la laine ne possède plus beaucoup d’acteurs à l’échelle locale. En France, il n’existe plus qu’un seul lavoir capable de traiter la laine. Le second se trouve en Belgique dont le savoir-faire avoisine les 200 ans d’expertise. Pour Nadège, pas question d’ouvrir un autre lavoir, elle parle surtout de mutualisation. Ouvrir un troisième lavoir mettrait en péril les deux autres dont les capacités de production excèdent les besoins. Plutôt que fragiliser l’écosystème, il est préférable, pour elle, de travailler ensemble.
Renforcer l'écosystème par la collaboration
C’est justement ce que propose Lainamac, une association de filière valorisant la création en laines françaises. Sa mission se concentre principalement sur :
- La transmission de savoir-faire rares,
- Le soutien d’entreprises engagées
- La relocalisation autour des laines locales et
- La valorisation du patrimoine de la filière
Située au cœur de la Creuse dans la ville d’Aubusson (capitale de la tapisserie), cette association propose des formations ainsi que des ateliers partagés autour du travail la laine (feutrage, retordage, tissage, tricotage). C’est Maëlle Petitjean qui nous fait la visite des ateliers, dans un cadre magnifique en surplomb de la ville.

Ce que je retiens de cette visite, c’est qu’il existe un véritable écosystème autour de cette fibre où les agriculteurs, les entreprises, les designers et le centre de formation se parlent. Lainamac est donc né d’un besoin de valoriser les savoir-faire à l’échelle locale et ça concerne tous les acteurs de la chaîne. L’association a notamment travaillé sur un mandat pour caractériser et classifier les différentes laines françaises (https://lanatheque.fr/races-ovines/ si vous voulez voir plein de moutons cutes, n’hésitez pas à cliquer sur le lien) et propose aussi un répertoire de fournisseurs locaux pour les designers qui souhaiteraient utiliser la laine locale dans leurs collections. L’association a également bénéficié d’un financement gouvernemental visant au développement des manufactures de proximité pour son projet d'ateliers partagés.
Conserver l'héritage culturel et industriel
L'entrée de la filature
Cet article se terminera avec la visite de la filature Fonty, entreprise qui bénéficie de la certification « Entreprise patrimoine vivant » et il y a de quoi !
Fonty, c’est une entreprise située dans la Creuse, en activité depuis 1880, spécialisée dans le filage et la teinture des fils de laine destinés au tricot main. C’est une trentaine d’employé.es qui travaillent sur des machines des années 50 pour fabriquer des fils d’une qualité exceptionnelle. La visite nous permet de voir l’ensemble des procédés de fabrication, de la filature, au bobinage en passant par la teinture. L’entreprise ne fait pas de lavage dont le guide précise qu’il s’agit d’un métier complètement différent. 30% de leur laine provient de France, le reste de Nouvelle-Zélande, d’Australie ou d’ailleurs dans le monde. Pour pouvoir bénéficier de la certification « Patrimoine vivant », l’entreprise s’engage à continuer de travailler selon des méthodes de travail traditionnelles. C’est la raison pour laquelle la plupart des machines datent des années 50. Elles sont entretenues et réparées par les employé•es dont la formation se fait en continu. En 2025, l’entreprise poursuit son expansion en agrandissant son usine. Elle rachète de vieilles machines et les remet en activité pour rester alignée avec leurs valeurs. Et ça, c’est l’aboutissement de nombreuses années de travail acharné puisque, comme beaucoup d’entreprises du secteur, elle a failli fermer ses portes à plusieurs reprises.

Je me sens privilégiée d’avoir pu visiter de si belles entreprises. Bien que le secteur connaisse des difficultés, je trouve ça beau de voir un élan commun pour redynamiser cette industrie chère à mon cœur.
