Mon plus précieux conseil d'entrepreneure

Mon plus précieux conseil d'entrepreneure

Publié par Lila Rousselet le

Samedi 3 mai 2025, j’ai perdu mon mentor, mon conseiller, mon fournisseur, mon ami.

Joe Leb, c’était le patron de Tricots Parisiens. Cette entreprise dont j’ai souvent parlé, en activité depuis une éternité, qui a su traverser les âges. Ce monsieur, dont j’ai si souvent parlé, qui m’a accompagnée, écoutée, soutenue.

À défaut d'avoir une photo de lui, j'ai un dessin

J’ai d’abord rencontré Joe par téléphone. Je ne sais pas si on peut tellement appeler ça une rencontre, mais je me souviens avoir eu un peu peur de lui. J’avais 25 ans, j’étais responsable de production chez Delyla et, généralement, quand on appelle le chef d’orchestre d’une entreprise partenaire, c’est que la raison est importante. Il était dur, mais je me souviens de quelqu’un de juste, profondément indigné qu’on m’envoie au casse-pipe pour réclamer un énième délai dans le règlement des factures alors que ce n’était pas mon rôle.

 

Puis est arrivée la grande affaire, celle qui a fait de moi la présidente d’une entreprise qui est aujourd’hui Montloup.
C’est là que j’ai enfin pu rencontrer, en vrai, la voix qui me faisait peur. Il était derrière le bureau du secrétariat et j’étais assise sur une chaise bancale à essayer de réparer les pots cassés que ma prédécesseure avait laissés avant de partir vivre sur une île aux Caraïbes (ça sonne comme le début d’une série télé, mais c’est la vérité).

 

Je ne savais alors pas grand-chose de la fabrication des tissus, ni trop du monde des affaires. J’avais suivi un cours au cégep sur la comptabilité dont les souvenirs étaient plutôt flous, et piloter une entreprise ne m’était pas tellement familier. En revanche, j’avais envie d’apprendre et je crois que, ce jour-là, j’ai rencontré quelqu’un qui avait envie de partager.

 

La loupe pour analyser les tissus

Au fil des rencontres (et des cafés), j’ai découvert quelqu’un de passionné, de généreux et d’attentionné. Je ne lui ai jamais dit, mais je l’appelais souvent « Papy » quand je parlais de lui. J’ai appris que d’autres l’appelaient « Oncle Joe ». Au-delà d’un fournisseur, Joe a été cette personne qui m’a prise sous son aile pour m’aider à être l’entrepreneure que je souhaitais être. Il a aussi été cette personne qui m’appelait pour seulement prendre de mes nouvelles après un examen médical ou pour savoir comment j’allais, qui me donnait du chocolat pour tenir les longues journées de travail.

 

Il a été patient, Joe, pour m’écouter parler dans un anglais douteux, sans jamais faire signe d’impatience ou de mépris. Il a toujours répondu à mes questions. Et des questions, j’en avais beaucoup.
« I have a question. »
« Only one question? »


Dans les archives de Tricots Parisiens, le dessin d'un jacquard

J’aurais du mal à parler pour lui, mais j’aime penser qu’il aimait partager ce qu’il savait, qu’il aimait me raconter ses souvenirs et avoir en face de lui une paire d’oreilles qui écoutait. Parce que j’aime ça, écouter les histoires des personnes qui m’entourent. Il aimait aussi que je lui partage mes projets, m’apporter ses conseils et ses mises en garde.

 

C’était un personnage. Une personne importante de l’industrie textile au Canada. Quand j’entendais d’autres personnes du milieu parler de lui, je réalisais à quel point j’avais de la chance de l’avoir à mes côtés. Il était respecté pour son savoir-faire et pour son savoir-être.

 

Au travers de cette relation, j’ai appris à être l’entrepreneure que je suis aujourd’hui. J’ai appris énormément sur la fabrication des tissus, mais aussi sur la vie en général. J’ai appris à relativiser, beaucoup. Parce que je crois que, quand on a vécu la guerre quelque part dans sa vie, un petit trou dans un tissu, ce n’est pas la fin du monde. On en a vu d’autres, comme on dit. Et ça, c’était précieux dans les moments de doute.

 

J’ai écrit ce texte parce que ça me faisait du bien, mais aussi pour partager ce conseil que j’estime être le plus important en affaires (et dans la vie en général) : savoir s’entourer des bonnes personnes. Souvent, dans les programmes de développement d’affaires, on parle de l’aspect financier, des ressources humaines qui déshumanisent un peu les gens, des indices de performance, du marketing. Mais on oublie souvent de parler de l’entourage professionnel et de l’importance capitale que peuvent avoir certaines personnes clés.

 

Je ne crois pas que je serais là aujourd’hui si je n’avais pas croisé sa route. Je serais probablement ailleurs.

 

Joe, j’espère que, là où tu es, tu as entendu l’immense gratitude que j’ai à ton égard.
Je crois qu’on meurt vraiment quand plus personne ne pense à nous. J’aime autant te dire que tu vas vivre encore une éternité.

Une photo de Morgane Clément-Gagnon 

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